Syndrome de Chiari
Entretien avec Mona, autrice de "Arnold et moi"

À la suite d’un article sur le syndrome de Chiari paru dans notre numéro de novembre, Mona nous a écrit pour nous signaler le retard de la France dans la prise en charge de cette pathologie. Ici, la craniectomie (ouverture du crâne) est la seule réponse apportée aux patients, une chirurgie invasive avec de possibles effets secondaires très lourds. En Espagne ou en Italie, les patients bénéficient d’une opération plus légère appelée la section du filum terminal (SFT).
Rebelle-Santé : Comment la maladie s’est-elle manifestée chez vous ?
Mona : À 23 ans, je me suis réveillée un matin avec de violents maux de tête et des vertiges à ne plus tenir debout. Puis, j’ai commencé à faire des malaises, jusqu’à 4 par jour. Aucun spécialiste ne savait ce que j’avais et il a fallu me battre pour obtenir une IRM cérébrale. En deux mois, le diagnostic était posé : malformation d’Arnold Chiari à un stade avancé. Une craniectomie de décompression du cervelet s’imposait pour soulager l’hypertension intracrânienne et éviter la tétraplégie. J’ai eu une longue et difficile convalescence d’environ 18 mois jusqu’à stabilisation de mon état. Les maux de tête ne m’ont jamais quittée, mais les vertiges se sont estompés et les malaises se sont faits plus rares. 11 ans plus tard, mon état s’est soudain dégradé. En quelques mois, j’ai perdu l’usage de ma jambe gauche. La douleur et la fatigue chroniques m’ont clouée au lit pendant 4 ans, un temps que j’ai mis à profit pour faire des recherches qui m’ont menée en Italie pour une section du filum terminal.

En quoi a consisté la section du filum terminal et quels en ont été les bénéfices ?
Il s’agit d’une chirurgie sous anesthésie locale, qui dure moins de 30 minutes. Elle consiste à sectionner le filum terminal, un ligament non fonctionnel (vestige de queue hérité de nos ancêtres) remontant du sacrum à la base du crâne. L’objectif est de supprimer la traction que ce filum, pathologique chez la plupart des malades atteints de Chiari, exerce sur toute la moelle épinière et le cervelet, au point de provoquer la descente des amygdales cérébelleuses (voir schéma ci-dessus). Dans mon cas, l’opération a eu des effets incroyables en seulement quelques heures : la douleur de fond au niveau de la nuque a disparu et surtout j’ai recouvré l’usage de ma jambe gauche. Malheureusement, cette opération ne peut rien contre les lésions nerveuses causées par des symptômes anciens. Elle ne soulage pas non plus les séquelles d’une craniectomie antérieure, ainsi je souffre toujours de maux de tête intenses et quasi permanents.

Alors que la plupart des patients français se rendent à l’Institut Chiari de Barcelone, vous avez choisi d’aller vous faire opérer en Italie. Pourquoi ?
Au-delà des bénéfices de cette chirurgie, j’ai à cœur de la faire reconnaître par la France. La clinique de Barcelone est une institution privée, un argument mis en avant par notre Sécurité Sociale pour ne pas rembourser l’opération. En Italie, la section du filum terminal est pratiquée dans un hôpital public de Faenza, près de Bologne. Au nom de l’égalité dans l’accès aux soins entre ressortissants européens, elle devrait donc être prise en charge à 100 % – ce qui n’est pas le cas… Mon combat ne consiste pas seulement à essayer de faire évoluer les mentalités au sein du corps médical français, il est également juridique. Je trouve injuste qu’un patient français ne puisse pas accéder à cette opération pour des raisons financières, et le Défenseur des droits a lui-même considéré, dans une décision officielle de 2021, que son non-remboursement constituait une atteinte au droit.
À ce jour, j’ai réussi à faire reconnaître par ma CPAM les effets bénéfiques de l’intervention sur mon état de santé au moyen d’une expertise médicale, ce qui m’a valu un remboursement partiel (comme pour une quinzaine d’autres patients). Mais c’est loin d’être suffisant. J’ai donc lancé une procédure judiciaire pour un remboursement intégral dans l’espoir de faire jurisprudence et d’aider à la prise en charge des interventions en Italie et, à terme, en Espagne. Le tribunal devrait trancher sur mon affaire en avril 2024.
En France, cette opération est décriée par les neurochirurgiens, qui alertent sur un risque de paralysie. Qu’est-ce qui vous a décidée à sauter le pas, malgré tout ?
Au départ, j’avais énormément de doutes. Après ma craniectomie, je me croyais à l’abri d’une aggravation. Le corps médical et APAISER, une association de patients atteints de Chiari, me déconseillaient la SFT, et je leur faisais aveuglément confiance. J’avais tort. Après avoir fait mes propres recherches et lu toutes les études sur le sujet, j’ai décidé de contacter des patients opérés à Barcelone ou en Italie. J’ai échangé avec plusieurs d’entre eux. Je les ai écoutés et je n’ai pu que constater les bénéfices de l’intervention. Plus que les études scientifiques, c’est leur expérience et leur ressenti qui m’ont décidée. Mes études et ma formation médicale de base m’ont également été utiles dans la compréhension des mécanismes de la maladie.
Aujourd’hui, je peux vous dire que le risque de paralysie est inexistant pour la section du filum terminal en « extradurale », dont il est ici question. La section du filum a lieu bien en dessous de la fin de la moelle épinière et des racines nerveuses.
L’association APAISER recommande la section du filum terminal en intradurale pour les enfants, mais la déconseille en extradurale pour les adultes. Comment l’expliquer ?
L’association conseille en effet l’opération pour les enfants ayant une moelle attachée basse, notamment en raison d’un filum terminal pathologique. Selon elle, cette malformation se détecte exclusivement dans l’enfance. Or, je suis la preuve vivante du contraire. Dans mon cas, la moelle attachée basse a provoqué les premiers symptômes à 23 ans (descente du cervelet), puis à 35 ans (perte de mobilité dans la jambe gauche), avec une section du filum terminal à 39 ans. Et je suis loin d’être un cas isolé. Il est donc particulièrement déroutant d’admettre l’utilité de cette intervention en intradurale pour les enfants (une pratique invasive, avec des risques de lésion) et de la rejeter en extradurale pour les adultes (une pratique mini-invasive et sans danger).
Faute d’avoir été évaluée en France, cette intervention continue à être considérée comme inefficace par les neurochirurgiens français.
Est-ce que la section du filum terminal est bénéfique pour toutes les formes de Chiari ?
Elle l’est pour toutes celles causées par une traction du cervelet, en raison d’une moelle attachée basse ou d’un filum pathologique, soit la grande majorité des cas. Dans les cas très rares de Chiari traumatique provoqués par un choc au niveau de la nuque, elle n’est d’aucune utilité.
Depuis 2010, plusieurs députés ont interpellé le ministère de la Santé sur le Chiari. Ils demandent une évaluation de la section du filum terminal pour qu’elle puisse être pratiquée en France et, a minima, qu’elle soit remboursée aux patients français. Entre 2010 et 2014, ces demandes ont fait l’objet de trois refus officiels. Le 18 juillet dernier, le ministère de la Santé s’est appuyé sur les propos de Fabrice Parker, professeur et chef de service de neurochirurgie, pour déclarer que la SFT « n’apporte aucun bénéfice » et a laissé entendre que les patients qui témoignent du contraire ne seraient pas réellement malades.
Comment peut-on nier les nombreux témoignages de patients ? J’en ai personnellement contacté 90 à travers le monde, en 2020, avant de prendre ma décision. 89 ont vu leur état se stabiliser, voire s’améliorer, et sont pleinement satisfaits de l’opération. Un seul a dû subir une craniectomie 7 mois après la section du filum terminal. Son Chiari était si avancé que la décompression était malheureusement indispensable, il a choisi de tenter la SFT en étant pleinement conscient de cette probabilité.
Ces 90 personnes peuvent fournir des imageries et, pour vérifier leurs témoignages, il suffirait de les faire expertiser, comme je l’ai été moi-même en 2022 pour ma procédure contre la Sécurité Sociale. Un neurochirurgien expert, connaissant parfaitement le Chiari pour avoir réalisé plus de 500 craniectomies dans sa carrière, n’a eu d’autre choix que de constater l’amélioration de mon état et d’émettre un avis favorable au remboursement de l’opération, qualifiant ma SFT de « franc succès ». Au passage, il m’a expliqué que mon IRM lombaire en décubitus ventral (allongée sur le ventre) était indiscutable, alors que si elle avait été faite en position dorsale comme il est coutume de le faire en France, nous serions passés à côté de la traction exercée sur ma moelle par le filum.
Pourquoi ces éléments ne sont-ils pas suffisants pour le ministère de la Santé et les spécialistes du Chiari en France ? Une sorte de lobby médical, peut-être ? Peu de neurochirurgiens sont capables d’effectuer une craniectomie correctement, il y a un certain prestige, une excellence et beaucoup d’ego autour de cette intervention. Imaginons que demain la section du filum terminal, bien moins chère que la craniectomie (4997 € pour la première contre 35 à 45 000 € pour la seconde) et techniquement accessible à n’importe quel neurochirurgien (car sans difficulté particulière d’exécution), devienne la chirurgie de première intention pour stopper l’évolution du Chiari, la plupart des patients éviteraient la craniectomie. Les centres de référence perdraient sans doute une partie de leurs subventions, leur prestige, etc.
Le ministère de la Santé s’en prend également au Dr Royo de la clinique de Barcelone, sous-entendant que celui-ci ne serait mû que par l’appât du gain et n’apporterait aucun mieux-être à ses patients. En connaissez-vous certains d’entre eux ?
J’en connais une centaine. Certains ont été opérés il y a plus de 15 ans et sont toujours satisfaits des résultats. N’en déplaise aux neurochirurgiens français et aux autorités, le Dr Royo est un précurseur. Il a été le premier à établir le lien entre la position anormalement basse du cervelet et la traction exercée par un filum pathologique. Il a également été le premier à mettre au point une chirurgie mini-invasive capable de lever cette contrainte mécanique.
Enfin, le ministère de la Santé met en cause « une patiente opérée à Barcelone », autrice d’un livre intitulé Arnold et moi. Cette patiente, c’est vous. Comment vivez-vous le fait d’être personnellement visée par les autorités ?
Si le ministre de la Santé avait lu mon livre, il saurait que je n’ai pas été opérée à la clinique privée de Barcelone, mais dans un hôpital public d’Italie.
Que le ministère me mette directement en cause (en déformant les faits) me conforte dans mon combat. Depuis la sortie de mon livre, l’année dernière, plus de 1000 patients atteints de Chiari et syringomyélie m’ont contactée. Ils ont tous le même parcours : une errance médicale, des médecins incompétents en matière de Chiari, des mauvais diagnostics parfois, des chirurgies inutiles, puis une fois le bon diagnostic posé, soit le Chiari est avancé et c’est la craniectomie, soit le Chiari est débutant et on laisse le patient se dégrader. Il faut savoir qu’en France, les spécialistes refusent de croire qu’une descente légère du cervelet peut être symptomatique, même si ce fait est attesté par des études scientifiques internationales. Les patients qui ont des formes légères de Chiari ne sont donc pas pris en charge correctement, alors que c’est pour eux que la section du filum terminal a le plus d’intérêt.
Des neurochirurgiens, le centre de référence du Chiari et la société française de neurochirurgie ont déjà évoqué mon livre comme un élément de désinformation. C’est pourtant un livre très authentique dans lequel je me contente de raconter mon parcours.
Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être un petit caillou dans la chaussure des neurochirurgiens français. Je ne prétends pas que mon livre et mon histoire feront des miracles, mais s’ils peuvent ouvrir les yeux à des personnes en situation de changer les choses, ce serait formidable.
En attendant, je continuerai à aider les autres patients, à répondre à leurs questions, à les écouter et à les guider avec bienveillance et respect.
INFOS COMPLÉMENTAIRES L’association « Opération Olivier à Barcelone » aide les malades à récolter les fonds nécessaires pour se faire opérer en Espagne ou en Italie. www.facebook.com/OperationOlivier www.arnold-chiari-syringomyelie-alternative.com |

À lire
Arnold et moi, vivre avec des douleurs chroniques, de Mona aux éditions du Net, 13 € (Epub : 2,99 €)
L’acte est appelé « Libération de moelle attachée, par abord postérieur » dans la classification commune des actes médicaux (CCAM), code AEPA001.