Quand la cosmétique se met au Vegan

La tendance Vegan (le refus de toute exploitation animale) vient d’Allemagne.
En France, où la tradition de l’utilisation des produits de la ruche et la valorisation des laits animaux (ânesse, jument, etc.) est encore très forte, elle a encore du mal à s’implanter, mais elle arrive…
À l’automne dernier, Matthieu Ricard, le moine bouddhiste tibétain français le plus célèbre au monde, présentait son dernier ouvrage : Plaidoyer pour les animaux (Allary éditions). Un appel aux hommes pour les inviter à étendre leur bienveillance à ces « êtres sensibles », et à cesser toute exploitation animale, que ce soit pour manger, se vêtir, s’enrichir ou se divertir…
Au même moment, au Naturkosmetik Branchen-kongress (deux jours de conférences dédiées à la cosmétique naturelle et bio), la tendance Vegan était évoquée comme essentielle pour le développement et les valeurs de la cosmétique bio. Depuis quelques années, on assiste ainsi à une très forte poussée de la cosmétique bio certifiée « Vegan » dans ce pays.
Il est certainement temps que la France s’y intéresse aussi.

Vous avez dit Vegan ?
Le mouvement vegan a émergé au milieu du XXe siècle. Il se définit comme le fait de vivre sans exploiter les animaux et implique donc de ne consommer aucun produit d’origine animale. Cela vaut pour l’alimentation, et cela inclut même les produits obtenus sans tuer ou faire souffrir les animaux, comme le miel, les œufs, le lait… Cela s’étend aussi aux matières animales de l’habillement (cuir, laine…) comme à celles qui sont présentes dans les produits ménagers ou les cosmétiques. Les vegans s’interdisent aussi d’assister à tout spectacle ou attraction faisant intervenir les animaux (corrida, cirque, zoo…).
Le vegan est ainsi le positionnement le plus absolu du mouvement « Veggie », plus global, incluant aussi les végétaliens (qui s’interdisent « seulement » de manger tout produit d’origine animale, y compris les produits laitiers, les œufs ou le miel…) et les végétariens (qui ne mangent pas de chair animale ni de produits ayant entraîné la mort de l’animal). À l’autre extrémité, à la frontière avec les omnivores (qui mangent de tout), les flexitariens adoptent un comportement adaptable en fonction des circonstances, et peuvent, par exemple, accepter de manger de la viande lors d’un dîner entre amis, même s’ils l’évitent la plupart du temps.
Les produits convenant aux critères vegans peuvent être certifiés par deux labels, attribués par la Vegan Society ou la Vegan Awareness Foundation, et tous deux associés à un logo. Des certifications qui vont bien au-delà des référentiels de One Voice ou de Cruelty Free, qui, eux, garantissent le respect du bien-être animal (interdiction des tests sur animaux et des ingrédients provenant d’animaux morts), mais qui autorisent certains ingrédients d’origine animale, notamment ceux issus de la ruche.
Encore minoritaires, les vegans seraient pourtant 40 % en Inde (pays ancré dans la tradition bouddhiste, et également première nation d’Asie à avoir interdit l’importation sur son sol de cosmétiques testés sur animaux en octobre dernier), 9 % en Allemagne, 8 % au Brésil, 7 à 11 % au Royaume-Uni, 2 à 3 % en France*. Et peut-être bientôt beaucoup plus nombreux.
Les vegans et la cosmétique allemande
Dans son allocution d’ouverture du Naturkosmetik Branchen-kongress, Elfriede Dambacher a présenté les résultats d’une enquête menée par sa société, Naturkosmetik Verlag, auprès des consommateurs allemands.
Pour elle, le vegan est l’une des quatre principales tendances qui orientent actuellement le marché des cosmétiques naturels. Et de souligner que 67 % des sondés végétariens voient une corrélation entre vegan et bio.
Au moment du choix d’un produit cosmétique, les critères d’achat diffèrent selon le régime alimentaire, a-t-elle souligné.
- 93 % des vegans privilégient les produits contenant des ingrédients naturels contre 79 % des flexitariens et 51 % des omnivores.
- 73 % des vegans préfèrent les cosmétiques portant une certification naturelle, contre 47 % des flexitariens et 16 % des omnivores.
Mais les rapports s’inversent pour d’autres critères.
- La qualité est importante pour 67 % des vegans, mais pour 71 % des flexitariens et 76 % des omnivores.
- De même, la tolérance cutanée motive l’achat de 60 % des vegans, mais de 73 % des flexitariens et 76 % des omnivores.
- Quant au prix, c’est le critère décisif pour seulement 18 % des vegans et 15 % des flexitariens, mais 31 % des omnivores.
Quelques chiffres qui renforcent l’image militante du consommateur vegan… comme le potentiel qu’ils représentent en termes de chiffre d’affaires pour une marque naturelle ou bio.
Et de fait, en Allemagne, les cosmétiques vegan se généralisent : « Cela participe à cette tendance actuelle forte de se nourrir et de se soigner de façon plus saine et plus équilibrée, dans le respect du monde qui nous entoure », souligne Michel Knittel, observateur de la cosmétique allemande. « Conséquence : sans qu’il y ait urgence, les ingrédients proscrits (cire d’abeille, lait et dérivés, lanoline…) sont remplacés par des ingrédients alternatifs au fur et à mesure des reformulations des gammes existantes ». Et de conclure que, sans avoir forcément besoin d’être vegan, la cosmétique bio peut, par ce moyen, renforcer son image de qualité et d’éthique. Ce qui vaut aussi pour la cosmétique conventionnelle, puisqu’on peut être vegan aussi en ayant recours à des ingrédients synthétiques, pour peu qu’ils n’aient pas une origine animale.
Demain, du Vegan pour tous ?
Cette tendance, forte de ses valeurs et dans l’air du temps, peut-elle envahir toute la cosmétique, dans le monde entier ? Nul doute qu’elle est appelée à se développer. Mais sa généralisation peut aussi être entravée par quelques obstacles.
Le premier d’entre eux est l’image paradoxalement négative qu’un label « Vegan » peut véhiculer. Car il désigne également un autre type de cosmétique « sans » et qu’à force d’aligner les « sans », on peut donner au consommateur l’image d’un produit qui se prive, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, d’ingrédients qui peuvent être qualitatifs, voire ajouter en efficacité. Mais il est vrai qu’on peut aussi être vegan sans forcément l’afficher… quitte à rassurer individuellement les consommateurs intéressés en répondant aux questions qu’ils peuvent poser à ce sujet.
L’autre entrave à la généralisation des produits vegans en cosmétique relève davantage de la culture et des traditions. Il est des pays en effet, et la France en fait partie, où l’utilisation des ingrédients animaux est fortement valorisée et est synonyme de naturel qualitatif, à l’image artisanale et « terroir » rassurante.
On ne manque ainsi pas de gammes françaises, et particulièrement en bio, basées sur les apports des produits de la ruche (miel, gelée royale, pollen, cire d’abeille…) ou des laits animaux (ânesse, jument…)… et jusqu’au colostrum dont la marque Solavie a récemment fait un actif phare de ses produits. « Ces ingrédients sont mieux perçus en France », confirme Betty Santonnat, directrice du développement de l’association Cosmébio. « Pour des raisons culturelles, les produits souvent à l’honneur chez nous ne sont justement pas vegans ».
Il y a pourtant déjà un public demandeur en France de produits vegans… et sûrement de la place pour tous les types de cosmétiques bio !