À Lauris, les couleurs poussent au jardin !

Faire pousser des couleurs, quelle idée ! Et pourtant, au jardin de Lauris, dans le Vaucluse, l’association Couleur Garance s’efforce depuis quelques années de faire connaître et remettre à l’honneur des plantes au fort pouvoir tinctorial. Rencontre avec la Rubia tinctorum et autre Indigofera tinctoria…
Cette région du Lubéron a toujours eu une forte tradition de culture de plantes tinctoriales. Le pouvoir colorant de la précieuse cochenille, abritée par le chêne kermès poussant dans les garrigues, est connu depuis fort longtemps. Aujourd’hui, elle sert de colorant alimentaire connu sous le nom de E120. Quant aux fruits verts du nerprun purgatif, ou épine noire, autrefois appelés « graines d’Avignon », ils donnent encore aujourd’hui une belle couleur, allant du jaune au vert, aux encres et autres colorants.

En 1998 est née l’Association Couleur Garance sous l’impulsion d’un homme passionné par les couleurs depuis toujours, Michel Garcia. Il se définit lui-même comme un « fabricant de couleurs ». Et cette année-là, il a fait le pari de vivre de la couleur végétale ! 4 ans plus tard, le nouveau maire de Lauris, jolie cité bordée par la Durance, propose de mettre un jardin à la disposition de l’association sur deux des terrasses du château : c’est ainsi qu’est né le Jardin conservatoire des plantes tinctoriales.
250 espèces sur 3500 m2
Aujourd’hui, l’association gère ce jardin unique en Europe et accueille environ 9000 visiteurs chaque année, entre mai et octobre. « Le but est de sensibiliser les personnes qui viennent à Lauris, explique Soizic Leclercq, Directrice chargée du jardin et de la pédagogie. Nos visites guidées permettent de diffuser des connaissances ancestrales, de faire mieux connaître ces espèces colorantes alimentaires et cosmétiques – il en existe plus d’une centaine ! » Graines et boutures sont échangées avec d’autres jardins botaniques, ce qui ne cesse d’enrichir la collection. En tout, 250 plantes différentes poussent sur les 3500 m2 du Jardin. Pour être admirées uniquement, car on ne peut ni les cueillir ni les utiliser. Les personnes qui veulent s’initier à la teinture végétale (qui a le vent en poupe depuis quelques années) peuvent trouver, dans la boutique attenante, le matériel nécessaire.
Moderne et écologique
Michel Garcia se réjouit de l’engouement nouveau manifesté pour les teintures végétales. De retour du Maroc où il donnait une conférence à l’Université Hassan II, ce passionné de couleurs naturelles travaille sans relâche pour trouver des pistes à la fois modernes et écologiques (« pas besoin d’être archaïques », clame-t-il avec force conviction !) pour colorer naturellement tout ce qui peut l’être.
Son credo ? Favoriser la filière courte, surtout dans les pays où la tradition de la teinture végétale est encore vivace. Il ne se lasse pas de parcourir le monde et d’enseigner à qui veut l’entendre que « la teinture est un métier qui s’apprend – un savoir-faire, un tour de main et du bons sens face aux cuves, voilà la recette »… Chez lui, on trouve des mélanges de plantes (des éco-pigments) pour teindre qui ont des noms exotiques comme le « violet d’orcanette » ou encore le « jaune de rhubarbe ». Tous les produits « exotiques » proviennent du commerce équitable et arrivent d’un peu partout – de la Guadeloupe au Mexique…
Depuis 2012, Couleur Garance a remis en culture le Polygonum tinctorium, plante à indigo, chez un agriculteur bio. Les couleurs merveilleuses qu’offre la nature ont de beaux jours devant elles d’autant que, depuis 2007, le programme européen REACH oblige de plus en plus les industriels à préférer les colorants naturels aux substances chimiques.
À Lauris, on n’a pas fini d’expliquer aux visiteurs que les plantes qui poussent là sont bien meilleures que les E…
Garance, indigo et autres plantes qui teintent

La liste des plantes utilisables pour la teinture naturelle est longue : des airelles qui donnent un rose violet au thé qui teinte en caramel clair, en passant par les amandes (vert), l’artichaut, le curcuma, l’érable et le figuier (jaune), la fougère, l’œillet d’Inde, mais aussi l’oignon, les lichens, la ronce, le persil, le prunellier (bleu pâle), les raisins (pourpre), la reine-des-prés, le souci, le sureau (bleu ardoise)…
À ne pas confondre avec les fruits et plantes qui tachent les tissus si on les renverse par inadvertance, mais qui ne sont pas utilisables pour teinter. Voici quelques-uns de ces faux amis : cerise, fraise et framboise, bleuet et betterave.
Garance et indigo font l’objet d’une culture remontant à fort longtemps
La garance des teinturiers (Rubia tinctorum), de la famille des rubiacés, est une liane dont le rhizome contient de l’alizarine, une substance au fort pouvoir colorant. Elle était autrefois cultivée dans des garancières (dans le Vaucluse et dans le Nord de la France) et ses précieuses racines, arrachées en mai avec une bêche à 3 dents, étaient ensuite triturées et réduites en poudre par des garançaires.
À partir de 1870, la synthèse de l’alizarine a mis un coup d’arrêt tragique à cette activité, malgré la volonté du Ministère des armées de l’utiliser pour teindre les pantalons des soldats…
Aujourd’hui, on utilise à nouveau ces végétaux pour teindre de manière artisanale, donc à petite échelle.
La teinture se fait en 3 étapes : le morçondage qui permet la bonne fixation du pigment sur les fibres textiles, la coloration et le lavage.
L’indigotier, quant à lui, est un arbuste de la famille des fabacées. Il fournit de l’indigotine qui remplaça le colorant médiéval du pastel au XVIIe siècle. La teinte obtenue est bleue… après être passée du jaune à la sortie de la cuve puis au vert. Allez donc y comprendre quelque chose ?!!
POUR EN SAVOIR PLUS
À LIRE :
– De la Garance au Pastel, Michel Garcia avec M.-F. Delarozière (Édition Édisud)
– Plantes colorantes Teintures végétales, Michel Garcia avec A.-F. Bernard (Édition Édisud)
– Le monde des teintures naturelles, de Dominique Cardon (Édition Belin)
– Guide des teintures naturelles, de Marie Marquet (Belin)
– Les chemins de garance, roman de Françoise Bourdon (Pocket – 6,80 €)
À REGARDER :
– Natural dye workshop, un DVD sous-titré sur l’utilisation des couleurs naturelles (produit par Yoshiko Wada – Slow fiber studio).
CONTACTS :
– Couleur garance – Jardin conservatoire de plantes tinctoriales – Maison Aubert – 84360 Lauris – Tél : 04 90 08 40 48 – Site : www.couleur-garance.com
– Plantes et couleurs, le site de Michel Garcia : www.michelgarcia.fr
ALLER :
Forum international des couleurs végétales avec grand marché des couleurs, expositions et conférences ouvertes au public les 10 & 11 octobre 2015 (le vendredi 9 pour les professionnels). Cette année, la Belgique est l’invitée d’honneur. Renseignements : Association Couleur garance à Lauris.