Hecho en Buenos Aires (ce qui se fait à Buenos Aires)

C’est en 2000 que Patricia Merkin, après avoir découvert et été séduite par la revue londonienne The Big Issue*, décide de se lancer dans le développement d’un projet similaire à Buenos Aires et crée Hecho en Bs.As.
Un journal de réinsertion qui marche !

Membre de la longue liste des revues de l’INSP (l’International Network of Street Papers – regroupant plus de 100 journaux vendus dans les rues par des personnes en difficulté dans 40 pays différents**) Hecho en Bs.As. (HBA) travaille quotidiennement à la réinsertion professionnelle et sociale des personnes sans abris et/ou sans emploi de la capitale, en leur confiant la vente de sa revue culturelle mensuelle. Le principe est simple, et sa viabilité capitale pour les quelque 100 vendeurs qui travaillent régulièrement avec Hecho. Ils atterrissent souvent dans les locaux de l’entreprise grâce au bouche à oreille, à des compagnons de rue ou des amis qui les ont convaincus des bénéfices que peut leur apporter cette activité.
Certains restent quelques mois, d’autres plusieurs années ; beaucoup, même après avoir trouvé un nouveau travail, continuent de venir récupérer des revues et d’aller les vendre dans la rue. Parce qu’en plus d’arrondir leurs fins de mois et de leur permettre de se lancer dans de nouveaux projets de vie (la construction d’une maison par exemple), participer à ce projet leur donne accès à un réel soutien social et leur apporte une importante satisfaction personnelle, un sentiment de fierté et de reconnaissance qui leur permet de retrouver un peu d’espoir et de motivation.
Retrouver confiance
Chaque mois, dans sa section Prensa del Asfalto (Chronique du Bitume), HBA donne la parole aux vendeurs pour qu’ils y racontent leur parcours personnel. C’est l’occasion pour eux de se confier sur leur expérience, leurs sentiments à l’encontre de ce projet et de l’équipe qui les accompagne. La plupart d’entre eux livrent des témoignages touchants et sont unanimes sur un point : vendre cette revue leur permet de développer des relations privilégiées avec les gens croisés dans la rue et, par là, de modifier l’image qu’ils ont eux d’eux-mêmes, de retrouver confiance en eux et confiance en les autres. « HBA, c’est une activité professionnelle, mais aussi l’assurance d’avancer dans la vie. C’est ce qui me permet jour après jour de me reconnecter avec les gens et de créer de nouvelles amitiés » confie Damián. Les porteños (habitants de Buenos Aires) connaissent bien la revue et l’apprécient ; ils ne se contentent pas de l’acheter à la sauvette pour se donner bonne conscience, mais s’intéressent au projet, s’intéressent aux vendeurs, les félicitent, les encouragent et les soutiennent. Ce rapport particulier avec leurs clients est très gratifiant pour les vendeurs d’HBA. Il est surtout essentiel à leur réintégration sociale. Ne pas baisser les bras : voilà ce que traduit pour beaucoup d’entre eux cette activité de vendeur.
Une tribune pour les exclus
Puis, bien au-delà de cette section Prensa del Asfalto, HBA en elle-même est une véritable tribune accordée à cette population habituée à l’exclusion et à la marginalisation. La revue traite de nombreux thèmes culturels et sociaux dont les premières victimes sont bien souvent les personnes qui ont atterri ou pourraient atterrir chez HBA. Elle s’empare de sujets qui ne feront jamais la Une des journaux officiels, mais qui traitent pourtant de vrais débats de fond, de débats éthiques, sur lesquels elle se positionne en promouvant constamment la lutte pour la justice sociale et le développement responsable de la société argentine. Permettre aux personnes directement touchées par ces problèmes de société de faire la promotion du journal et de sensibiliser eux-mêmes le public à l’importance de l’engagement et de la solidarité, est une belle façon de leur donner de l’importance et de leur permettre de prendre part au combat pour le respect de leurs propres droits. Hecho en Bs.As. a choisi de s’engager et d’aider à la réinsertion les personnes socialement vulnérables sans les assister, mais plutôt en encourageant leur autonomie avec l’accès à un travail régulier, un revenu digne et une activité gratifiante et engagée. C’est en cela que l’association HBA peut être pleinement considérée comme une entreprise sociale.
Un mouvement planétaire
L’entrepreneuriat social est une petite révolution économique en marche dans le monde entier. Ses défenseurs prônent l’urgence du renouvellement des modèles économiques et sociaux encore dominants, mais présentant de nombreuses limites quant à la résolution des problèmes endémiques de notre société. Plaçant l’efficacité économique au service de l’intérêt général et constituant une alternative viable aux politiques étatiques et au fonctionnement traditionnel du marché, les entreprises sociales ont un réel potentiel d’innovation ; elles visent la résolution des nombreux enjeux préoccupants de notre société contemporaine : la crise de l’État providence, l’urgence climatique, les problématiques alimentaires, les questions de justice sociale, etc.
Et ça marche !
Patricia Merkin est une entrepreneure sociale déterminée à influer sur les problèmes extrêmes de pauvreté, d’exclusion et d’inégalités sociales à Buenos Aires et dans sa province. Après 15 ans de combat, son engagement a jusque-là été couronné de succès. Véritable pilier du paysage associatif local, Hecho en Bs.As. jouit d’une importante légitimation à Buenos Aires, y compris auprès des pouvoirs publics.
« Journalisme, art et culture en faveur du changement social » : la devise de l’association résume très bien le fond et l’importance de la mission qu’elle s’est donnée : une mission qui soutient et met en avant la force de l’alternatif, la force de l’engagement et de l’union des citoyens. Elle veut prouver que l’information positive, le dialogue interculturel, la solidarité intersectorielle sont des moyens réels de faire avancer les choses et de nous faire prendre conscience à tous que nous avons notre part à jouer dans cette évolution.
Des réussites qui se multiplient
En Argentine et plus largement en Amérique du Sud, le modèle de l’entrepreneuriat social se retrouve dans de nombreux mouvements citoyens qui émergent depuis la fin des dictatures et tentent de participer activement et positivement à la construction et à la consolidation de systèmes démocratiques participatifs, inclusifs et réfléchis. Dans des pays où les États sont encore souvent faibles ou absents lorsqu’il s’agit de répondre à de sérieux problèmes sociétaux, l’apparition de solutions « système D » si l’on peut dire, est quelque chose de commun et de très important. Je pense ici par exemple aux nombreux mouvements de lutte pour la sauvegarde et la protection des terres (le MST, le Movimiento Campesino, les associations indigènes, etc.), aux mouvements de soutien aux familles des disparus de la dictature (les célèbres Madres de la Plaza de Mayo – mères de la place de Mai), aux mouvements de récupération de fabriques et d’entreprises auto-gérées par les travailleurs, aux mouvements qui proposent des alternatives à l’invasion des cultures et produits transgéniques, etc.
Un exemple ?
Toutes ces expériences sociales sont la preuve que les opportunités qu’ont les citoyens de peser dans l’avenir de leurs pays ne manquent pas d’être saisies. Et, bien qu’elle soit encore confrontée à beaucoup de difficultés, l’Amérique du Sud connaît un processus de développement déterminant à l’origine d’une dynamique sociale et culturelle des plus stimulantes, alors que, chez nous, en Europe occidentale, on a plutôt l’impression d’une dynamique inverse de désengagement et de pessimisme… Mais, heureusement, il semblerait que les choses soient en train d’évoluer. L’initiative citoyenne de petite ou grande ampleur redevient peu à peu une alternative jugée efficace pour pallier les effets de la crise dans laquelle nous sommes plongés depuis de nombreuses années.
Des projets encore plus ambitieux

Le climat latino américain particulier a sans doute aidé HBA à tenir le cap pendant plus de 15 ans. Aujourd’hui, soucieuse d’aller plus loin dans son engagement auprès des populations marginalisées et consciente que de nombreux problèmes de l’Argentine contemporaine sont des conséquences directes de l’invasion et de la puissance des multinationales agricoles et énergétiques dans la région, l’équipe d’HBA s’est lancée dans un nouveau projet agro-écologique : A Cultivar que se acaba el mundo (C’est en cultivant que l’on construit le monde).
Elle a ouvert à San Telmo, quartier historique de Buenos Aires, un local de commercialisation de produits bio locaux, pour répondre à la demande croissante des citoyens d’adopter une consommation responsable, mais aussi et surtout pour soutenir et promouvoir l’activité des petits producteurs et paysans argentins. L’ouverture de ce local n’était que la première étape du nouvel engagement d’HBA dans le domaine agro-écologique ; elle dispose de 4 hectares de terre sur lesquels elle projette, par exemple, de développer un circuit de production respectueux des techniques de l’agro-écologie pour aider les producteurs, via des conseils, des formations, à améliorer leur production. Ses nouvelles ambitions vont jusqu’à allier les enjeux de l’agro-écologie aux défis du secteur touristique. Elle travaille actuellement à la création d’un Bureau d’Information au Volontaire et au Touriste Responsable, dont les objectifs seront d’informer les touristes de la situation argentine complexe concernant certaines problématiques sociales et environnementales, les sensibiliser à l’impact qu’ils ont eux-mêmes sur ces enjeux pour les convaincre d’adopter un comportement responsable dans le cadre de leur voyage. Il s’agit de leur donner la possibilité d’agir en proposant diverses activités touristiques (parcours itinéraire social et culturel de Buenos Aires en vélo, développement d’activités de type WWOOFing*** en partenariat avec les producteurs travaillant pour A Cultivar, etc.) et en les mettant en contact avec les nombreux réseaux de tourisme responsable qui existent en Argentine.
Ces nouveaux objectifs n’en sont pour l’instant qu’au stade de projet ; HBA, comme la plupart des associations de ce type, est malheureusement régulièrement confrontée à des limites financières. Mais si vous avez dans l’idée de visiter Buenos Aires dans un futur plus ou moins proche, allez donc à la rencontre de cette fabuleuse équipe déterminée à croire en un avenir qui aura plus de sens que ce que l’on veut nous faire croire. Ils vous accueilleront avec des sourires, de la musique, du maté et de la buena onda (l’ambiance) typiquement porteña, vous proposeront des produits locaux absolument délicieux et vous parleront bien mieux que moi du Buenos Aires alternatif, celui qu’il faut découvrir et soutenir.
Puis si l’envie vous prend de les soutenir de loin, Hecho en Bs.As. et A Cultivar lancent régulièrement des campagnes de financement participatif qu’elles relaient sur leur compte facebook !
CONTACTS
Site de l’asso : hechoenbsas.net
Facebook d’HBA : Hecho en Bs.As.
Facebook du projet agro-écologique : A cultivar que se acaba el mundo
Pour leur écrire ou leur rendre visite :
HBA : Avenida San Juan 21, 2° piso, 1064, Capital Federal de Buenos Aires, Argentine.
A Cultivar : San Lorenzo 371, 1064, Capital Federal de Buenos Aires, Argentine.
Pour les contacter par mail, sachant que Patricia Merkin parle français : pmerkin@hechoenbsas.com
Notes :
* Hebdomadaire « de rue » très apprécié en Grande-Bretagne, tirant à 300 000 exemplaires.
** En France, les journaux de rue n’ont pas réussi à séduire un lectorat, leur qualité rédactionnelle est avancée pour expliquer cet échec.
*** Système d’échange où vous êtes accueillis, nourris et logés, on vous apprend une activité que vous effectuez gratuitement pendant le temps de l’échange.