Écri-thérapie, la douleur dans les mots

Écrire pour aller mieux, pour se libérer. Attraper un bloc de papier et y jeter tout ce qui passe par la tête : voilà une thérapie inhabituelle et qui, pourtant, remporte un vif succès. Chez soi et à l’hôpital.

« Oui, l’écriture peut avoir un effet thérapeutique, affirme Emmanuelle Laurent. Écrire sous quelque forme que ce soit – poésie, fiction ou autobiographie – permet de travailler sur soi, d’évacuer des tensions : c’est un puissant exutoire… » Emmanuelle y consacre sa vie depuis quelques années. Formée en art-thérapie, spécialité écriture, la jeune femme côtoie quotidiennement des personnes en demande.

L’ancienne libraire a quitté le Midi il y a quelques années pour s’installer en Auvergne où elle a créé l’association ÉCRITS, pour Écriture Lecture Inventivité Traduction et Solidarité. Tout un programme !

Ateliers

C’est donc à Clermont-Ferrand qu’Emmanuelle anime désormais des ateliers d’écriture. La Mairie fait appel à l’association, mais aussi un Club de lecteurs des environs, ou encore l’École d’architecture et même la fac de droit. « En atelier, on écoute les textes, explique l’art-thérapeute. À la longue, ça redonne confiance aux gens abîmés par la vie. » S’autoriser à écrire. « Les corps se tiennent mieux, les voix se portent mieux aussi au fil des ateliers », remarque-t-elle. La confiance en soi et dans les autres refait son apparition.

Au CHU, Emmanuelle est intervenue à la demande du Dr Picard, responsable du Centre d’études et de traitement de la douleur. L’une des thématiques demandées lors de ses interventions fut, par exemple, de « repeindre la solitude ». « C’est sûr, les personnes présentes avaient meilleure mine à la fin de la séance », témoigne l’ancien écrivain public avec enthousiasme.

Écrire permet donc d’apaiser et surtout de vivre avec ses douleurs. Qu’elles soient morales ou physiques. Ce n’est pas Annie Quinet qui dira le contraire !

Confier sa douleur au papier

Annie Quinet, poète public installée à Ambert, a toujours utilisé l’écriture en thérapie. Depuis son enfance, qui n’a pas été facile. « Déjà, étant gamine, j’écrivais des poésies en cachette lorsque je recevais une correction injuste, se souvient-elle. J’allais même, parfois, jusqu’à mâcher et avaler le papier pour éviter de me faire attraper par ma mère… » Plus tard, à la bibliothèque de l’école, la jeune Annie emprunte des livres de poésie et se repaît des textes enchanteurs de « La Racine de la Bruyère Boileau de la Fontaine Molière », comme elle dit !

« Tout au long de ma vie, j’ai eu la chance d’écrire pour évacuer mes peines et mes chagrins – un don du Ciel, ça, d’écrire ! » clame-t-elle avec force et une grande conviction. Et d’expliquer : « La colère tombait, me passait… Si j’écrivais sous le coup d’une forte émotion, après avoir écrit, j’étais calmée et ne voyais plus le problème sous le même angle, je relativisais… »

C’est ainsi que la mère de famille évacue les tensions et les émotions lors de ses retours de Toul où elle va visiter son fils en prison. « Je racontais l’histoire à travers un personnage fictif, bien souvent un petit garçon. « Yann » fut d’abord un poème avant d’être repris sous forme de nouvelle pour sortir mon chagrin. Je préférais épancher ma tristesse sur le papier que d’embêter ma famille ou mes amies. »

Après une double rupture d’anévrisme, la poétesse a repris son écrit-thérapie au centre de rééducation où elle écrivait des acrostiches pour tous ceux qui entraient dans sa chambre (en photo, celui composé et illustré par elle pour Gérard Georges). Aujourd’hui, elle a repris rimes et sonnets pour composer des poèmes personnalisés qu’elle illustre joliment.

Romancier aussi…

Gérard Georges, romancier, témoigne aussi des bienfaits de l’écriture. « Chaque roman est une thérapie ! On se découvre des facettes de personnalité dans les personnages et ainsi, on sort de soi-même. »

C’est en rédigeant Jeanne, la brodeuse au fil d’or (1), écrit 9 ans après le décès de sa mère, qu’il fait vraiment le deuil de ce départ insupportable. « Cette rédaction m’a permis de faire ce deuil avec l’impression (ou l’illusion ?) qu’elle était à mes côtés durant tous ces mois de rédaction. J’ai beaucoup pleuré en l’écrivant et maintenant, quand je pense à elle, je suis plus serein. Ça m’a permis de tourner la page. La douleur s’est transformée… »

Déjà, 40 ans plus tôt, l’écrivain avait évacué une première peine d’amour en écrivant un roman en 3 mois : « Et si je ne l’avais pas écrit, je ne serais peut-être plus là aujourd’hui », affirme-t-il en concluant que oui, l’écriture est une thérapie très efficace !

… et à l’hôpital psy

C’est à l’hôpital de jour des Carmes, au Puy-en-Velay, qu’un infirmier passionné par l’écriture anime des ateliers thérapeutiques depuis 2008. « Après avoir suivi deux formations, j’ai commencé à encadrer ces ateliers hebdomadaires, raconte Dominique Giustiniani. Écrire, c’est être à l’écoute des mots qui touchent et ouvrent des portes. »

Alors, peut-on parler vraiment de thérapie ?

L’infirmier avoue avoir remarqué une évolution dans cette activité : « Au début, les 7 ou 8 patients – des personnes anxio-dépressives – qui fréquentent cet atelier parlaient de l’actualité banale. Mais, depuis quelques années, ils se confient plus au papier, avec plus de confiance. » Oser s’écrit ainsi à la première personne : j’ose écrire ! « Je propose un thème, résume M. Giustiniani, comme, par exemple « Au fond de ma poche, il y a… » et ils font le travail chez eux. La semaine suivante, les patients assidus viennent lire leur texte devant le reste du groupe. Ils osent enfin s’exprimer. Et s’ils le font à l’atelier, ils peuvent aussi le faire à l’extérieur. »

Certaines personnes ont un réel talent, même si l’important n’est pas la qualité, mais plutôt de respecter l’écriture de l’autre, sans jugement.

« Leur vie, leur monde, leurs souffrances transparaissent dans leurs textes. J’aimerais juste que ces écrits soient connus parce qu’ils le mériteraient », regrette-t-il, tout en admettant que oui, il y a effectivement un mieux-être.

Les participants retrouvent leur curiosité par rapport au monde et surtout, ils reviennent, donc y trouvent leur compte. « Mais, bien sûr, c’est difficile de quantifier », admet-il.

HP Blues

En tout cas, l’une de ces patientes est désormais l’auteure d’un livre publié aux éditions De Borée. Renée Defay a commencé à écrire Tes petits pieds dans les traces de mes sabots lors d’un séjour dans un hôpital psychiatrique de la Drôme. « C’est autobiographique, bien sûr, reconnaît l’ancienne assistante sociale. Je ne sais pas inventer des personnages, ni écrire autre chose ! »

Depuis, elle assiste à des groupes d’écriture animés par Bruno Boussagol qui a recueilli les textes de 5 patients, les a édités (2) et les met en scène. Belle expérience, en vérité.

« Oui ! Ça me fait du bien d’écrire, affirme avec force Renée. C’est libératoire. Les visions, les idées, les sentiments forts, une autre compréhension du monde : voilà ce que l’on peut donner au monde lorsqu’on est fou… »

À l’hôpital Sainte-Marie de Privas, c’est à travers un magazine appelé L’écho de la réhab que les patients peuvent s’exprimer. Nouvelles d’ici, dossier spécial, recettes d’ailleurs, billets d’humour, poèmes et témoignages émaillent ce trimestriel. Mettre des mots sur leurs maux. Les écrire, et ainsi renaître à la vie qui ne demande qu’à pulser.

Alors, qu’attendez-vous pour attraper un crayon et coucher vos maux sur le papier ?

POUR EN SAVOIR PLUS

LIRE
– L’écriture thérapie, d’Hélène Bah (Éditions Eyrolles) – 18 €
– La guérison par l’écriture, de Jean-Yves Revault (Éditions Jouvence, collection Trois Fontaines) – 9 €
– La thérapie par l’écriture, de Jean-Yves Revault (Éditions Jouvence, collection Trois Fontaines) – disponible d’occasion sur Internet
– Histoires d’écritures – Voyage en ateliers d’écriture, d’Isabelle Mercat-Maheu (Édition La Cause des Livres) – 15 €

APPRENDRE

– Les Ateliers d’écriture Élisabeth Bing : 20, rue du Terrage à Paris. Tél. 01 42 05 06 96 – Site Internet : https://www.atelierbing.com/
– Centre de formation à l’écriture Aleph – 01 46 34 24 27 – Site Internet : www.aleph-ecriture.fr
– Il existe un DU (Diplôme Universitaire) d’animateur d’ateliers d’écriture à l’université de Montpellier. Contact : DUAAE Université Paul-Valéry Sufco – Site Internet : duaae.sufco.fr

CONTACTS

– Centre Hospitalier Sainte-Marie à Clermont-Ferrand : Julie Mallet au 04 73 19 84 69
– Association ÉCRITS (Écriture Lecture Inventivité Traduction Solidarité) à Clermont-Ferrand.
Tél : 09 54 60 00 67 – Courriel : ecritsasso@free.fr
– Annie Quinet, poète public à Ambert. Tél. 04 73 82 17 91


(1) Paru en 2009 aux Presses de la Cité
(2) HP Blues – Éditions Brut de béton production

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