Entretien avec Dr Sylvie Wieviorka

En 40 ans de consultations dans son cabinet de psychiatre, la Dr Sylvie Wieviorka a vu changer considérablement le discours de ses patients sur leur santé mentale. Dans son nouvel ouvrage, Que s’est-il passé dans la tête des Français ?, la psychiatre revient sur l’évolution qu’elle a constatée au fil des années, véritable reflet des changements de mentalité de notre société.
Rebelle-Santé : Pourquoi écrire un livre sur les évolutions dans le domaine de la psychologie ?
Dr Sylvie Wieviorka : Lorsque l’on m’a parlé de cette idée d’ouvrage, j’ai trouvé cela extrêmement intéressant. Dans le processus d’écriture, je me suis rendu compte à quel point la perception de la santé mentale avait évolué en quelques décennies. Dans certains domaines, nous avons énormément progressé. Par exemple, l’homosexualité était considérée comme une maladie mentale et aujourd’hui elle est simplement considérée comme une forme normale de sexualité.
Comment s’illustre la différence entre avant et maintenant ?
Je trouve que le changement dans le vocabulaire utilisé est très révélateur. On parlait d’enfants « paresseux », on dit maintenant qu’ils sont dyspraxiques, par exemple, ou TDAH (souffrant de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ndlr). On évoquait un conjoint « méchant », on parle de pervers narcissique… Ce changement de langage témoigne de notre changement de regard.
Ces diagnostics « dys » et TDAH sont de plus en plus fréquents. Qu’en pensez-vous ?
Il y a des cas où, clairement, le diagnostic est fondé. Mais je dirais qu’il est trop souvent posé. Pour moi, cela engendre deux problèmes, d’une part, nous accordons une trop grande place à la réponse médicamenteuse. Le nombre de prescriptions est vertigineux ! Nous donnons beaucoup de médicaments sans avoir pris le temps de comprendre profondément ce qu’il se passe pour l’enfant. D’autre part, nous ne creusons pas assez les aspects relationnels, c’est-à-dire que l’entourage ne prend pas sa part de responsabilité dans la situation, que ce soient les parents ou les structures enseignantes, par exemple.